L’expertise scientifique, l’aide à la décision des pouvoirs publics, font parties des missions du chercheur. Ainsi, les résultats de nos recherches sont sensés éclairer les prises de décisions de nos dirigeants. Dans le domaine des neurosciences, de nombreuses études ont démontré la toxicité de certaines molécules, parmi lesquelles le glyphosate figure en bonne place. Nous avions publié une tribune libre sur ce sujet « Le Glyphosate est-il neurotoxique ? » dans la Lettre n°58. Après tous les résultats compilés par les scientifiques, comment comprendre la décision de renouveler l’utilisation de cet herbicide pour 10 nouvelles années, prise par nos dirigeants au niveau national et Européen ? Toutes les observations balayées d’un revers de main. Quel manque de considération pour la recherche. Une décision qui suscite naturellement la colère des chercheurs.

De la colère il en sera question dans le Dossier de cette Lettre, non pas en lien avec une quelconque décision politique ou une injustice, mais simplement parce que dans ce dossier, nous avons essayé de faire le point sur les émotions, dans toutes leurs dimensions, ou presque. Elles prennent une place importante dans notre quotidien, elles sont partout, dans nos prises de décisions, nos capacités d’apprentissages... La détection des émotions est un point essentiel dans les relations entre les individus, et pourtant, elles nous échappent parfois, sont quelquefois difficiles à maitriser et nous ne savons toujours pas comment elles prennent naissance dans le cerveau. Les animaux expriment-ils les mêmes émotions que nous ? Pour cela nous avons demandé aux meilleurs spécialistes de nous éclairer sur ces différents aspects. Vous apprendrez ainsi que les oiseaux sont capables de rougir de plaisir. Les études de comportement et en imagerie montrent que les bébés sont capables de distinguer la joie ou la peur dès les premiers mois de vie. La perception des émotions varie avec l’âge, parfois exacerbées à l’adolescence et parfois émoussées au cours du vieillissement… Mais la perception des émotions fait aussi parfois défaut, et certaines pathologies comme la maladie d’Alzheimer entrainent de véritables troubles des émotions. Retrouvez toutes ces facettes de nos émotions dans ce passionnant dossier coordonné par Nathalie Mandairon et nous deux.

Dans la rubrique Histoire des Neurosciences, Damien Lacroux, historien et philosophe des sciences, actualise nos conceptions du dualisme cartésien en se penchant sur la place du corps dans la perception des émotions chez Descartes. Il confronte la théorie Cartésienne de l’encartage cérébral du corps, un aspect de l’œuvre de Descartes largement méconnues, aux théories plus récentes du cérébrocentrisme exprimées par Joseph Ledoux et Antonio Damasio. La place du corps dans la perception des émotions n’est clairement pas une idée neuve. Un excellent complément au dossier.

Dans les Nouveautés en Neurosciences, Bruno Aouizerate et Lucile Capuron abordent la dépression, l’une des plus fréquentes pathologies psychiatriques, avec le prisme de l’immuno-inflammation et montrent comment l’inflammation est aussi une composante des mécanismes physiopathologiques de la dépression. Ces avancées pourraient permettre de proposer de nouveaux traitements personnalisés aux patients dont la dépression résiste aux antidépresseurs. A lire avec intérêt même sans être déprimés.

Vous lirez sous la plume de François Gonon et Cédric Brun dans la Tribune Libre que les neurosciences se retrouvent parfois dans l’arène politico médiatique, notamment avec la neuropédagogie. On se souvient tous de l’argument des neurosciences pour dénoncer la méthode globale d’apprentissage de la lecture et de la présence de nombreux neuroscientifiques au sein du Conseil scientifique de l’Éducation nationale mis en place en 2018. Au-delà de ce constat, François Gonon et Cédric Brun se sont penchés sur la place des neurosciences dans les médias et la politique, et ils nous livrent une analyse du positionnement tout à fait original de notre discipline dans cet environnement. C’est un volet très intéressant que vous ne soupçonnez peut-être pas, comme nous avant la lecture de leur article. Notre discipline est aussi un vrai sujet d’étude !

Nous avons souhaité enrichir le contenu de la Lettre avec la publication d’un article par le lauréat de la Lecture Fessard. Vous découvrirez ainsi l’article de Vincent Prévot (Lauréat 2023) à propos de ses travaux sur les neurones à GnRH. Vincent nous fait découvrir comment ce neuropeptide connu initialement pour le contrôle de la reproduction, étend son influence à de nouvelles fonctions : le neurodéveloppement et la cognition... Le cercle de la neuroendocrinologie s’étend. A lire absolument !

En suivant dans ce numéro, vous trouverez le point sur l’édition 2023 de la Semaine du Cerveau fait par Armelle Rancillac et François Tronche qui nous rapportent de nombreuses actions originales, à Poitiers et à Lyon par exemple. Pour que l’édition 2024 surpasse celle de 2023, c’est le moment de vous mobiliser et de préparer vos interventions, les retours gratifiants sont garantis.

Enfin, n’oubliez pas les journées Thématiques de la Société des Neurosciences qui se dérouleront les 23 et 24 mai 2024 à Bordeaux sur le thème "Neurosciences et intelligences artificielles : mécanismes, perspectives et conséquences" où nous espérons vous rencontrer nombreux.

Nous espérons que vous aurez autant de plaisir à lire cette Lettre que nous en avons eu à la préparer, et nous terminerons en vous souhaitant de belles fêtes de fin d’années et une excellente année 2024, pleine d’émotions positives, en neurosciences bien sûr mais aussi pour tous vos projets.

Bonne lecture.