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Nouvelles pistes pour comprendre la résilience au trauma
Les attentats de Paris et Saint-Denis, le 13 novembre 2015, ont laissé des marques durables, non seulement sur les survivants et leurs proches, mais aussi sur la société française dans son ensemble. Dans le cadre du programme transdisciplinaire 13-Novembre, une étude d’imagerie cérébrale en IRM intitulée Remember et menée à Caen, s’attèle à une question majeure qui intrigue les neuroscientifiques depuis des années : pourquoi certaines personnes ayant vécu un traumatisme souffrent-elles de stress post-traumatique, alors que d’autres, résilientes, ne développent jamais ce trouble ?
Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) peut se développer chez certains individus ayant été confrontés à des événements traumatisants. Parmi les symptômes les plus caractéristiques, l’intrusion fréquente du souvenir des images, des odeurs et des sensations associées au traumatisme vécu, bouleversent la vie quotidienne et induisent une grande détresse. L’étude menée par les chercheurs Caenais, publiée dans la revue Science le 14 février 2020, permet de mieux comprendre l’origine des souvenirs intrusifs.
D’après les modèles traditionnels du TSPT, la persistance des souvenirs intrusifs douloureux s’expliquerait par un dysfonctionnement de la mémoire, et notamment de l’hippocampe, un peu à la manière d’un vinyle rayé rejouant en boucle les mêmes fragments de nos souvenirs. Par ailleurs, les tentatives par les patients de suppression et de contrôle de leurs souvenirs traumatiques ont longtemps été considérées comme un mécanisme inefficace et une stratégie négative, renforçant les intrusions et aggravant la situation des personnes souffrant de TSPT.
L’étude publiée dans Science remet en cause certaines de ces idées, et émet l’hypothèse que la résurgence intempestive des images et pensées intrusives serait liée à un dysfonctionnement des réseaux cérébraux impliqués dans le contrôle de la mémoire (pour reprendre l’image précédente, le bras de la platine vinyle contrôlant la lecture des souvenirs).
Afin de modéliser la résurgence des souvenirs intrusifs, sans les exposer à nouveau aux images choquantes des attentats, les chercheurs ont proposé un protocole de recherche s’appuyant sur la méthode Think/No-Think à 120 survivants des attaques de Paris, dont près de la moitié souffrait de TSPT. 73 personnes n’ayant pas été exposées aux attentats ont également pris part à l’étude. Cette méthode vise à créer des associations entre un mot indice et un objet du quotidien n’ayant rien à voir l’un avec l’autre (par exemple le mot « chaise » avec l’image d’un ballon), afin de reproduire la présence d’une intrusion lors de la confrontation avec le mot indice. Dans un second temps, la capacité des participants à chasser et supprimer l’image intrusive est mesurée par le biais de la connectivité cérébrale entre les régions de contrôle, situées dans le cortex préfrontal et les régions des souvenirs, telles que l’hippocampe.
Les résultats montrent que les participants souffrant de TSPT présentent une défaillance des mécanismes qui permettent de supprimer et de réguler l’activité des régions de la mémoire lors d’une intrusion (notamment l’activité de l’hippocampe). A l’inverse, cette capacité est largement préservée, voir supérieure, chez personnes résilientes. Ces résultats suggèrent que le mécanisme de suppression des souvenirs n’est pas intrinsèquement mauvais et à l’origine des intrusions comme on le croyait. En revanche, son dysfonctionnement l’est, ce qui conduit à sa surutilisation chez les TSPT.
Ces résultats soulignent que la persistance du souvenir traumatique n’est vraisemblablement pas uniquement liée à un dysfonctionnement de la mémoire, mais également à un dysfonctionnement de son contrôle. Reste à déterminer si ces difficultés de contrôle se sont instaurées après le traumatisme, ou étaient présentes avant, rendant l’individu plus vulnérable.
Ces résultats permettent également d’imaginer de nouvelles pistes de traitement. À l’heure actuelle, la plupart des thérapies existantes impliquent de se confronter au traumatisme, ce qui n’est pas toujours évident pour les patients. Proposer des interventions déconnectées des événements traumatiques, stimulant les mécanismes de contrôle identifiés dans cette étude, pourrait être un complément utile pour entraîner les patients à mettre en place des mécanismes de suppression plus efficaces.
Référence :
Mary A., Dayan J., Giovani Leone, Charlotte Postel, Florence Fraisse, Carine Malle, Thomas Vallée, Carine Klein-Peschanski, Fausto Viader, Vincent de la Sayette, Denis Peschanski, Francis Eustache, Pierre Gagnepain, « Resilience after trauma : the role of memory suppression ». Science 367, 756, 2020, DOI: 10.1126/science.aay8477
Contact chercheur :
INSERM-EPHE-UNICAEN U1077, “Neuropsychologie et Imagerie de la Mémoire Humaine” (NIMH),
GIP Cyceron, Caen
Connectivité altérée du réseau par défaut chez des adolescents présentant un Trouble de Stress Post-Traumatique
Le Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT) se caractérise par des symptômes d’intrusions, de reviviscence, d’évitement et d’hypervigilence. Ces symptômes pourraient être liés à un dysfonctionnement des régions clefs de réseaux neurocognitifs desservants les processus de référence à soi (réseau par défaut, RD), la détection de stimuli salients (réseau de la salience, RS) ou de dysfonctionnement cognitif (réseau central exécutif, RC). Les études en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) au repos chez des adolescents ayant un TSPT sont rares et les résultats controversés, probablement dus à des différences dans la sévérité des symptômes. L’activité au repos a été enregistrée chez 14 adolescents présentant un TSPT sévère et 24 sujets témoins appariés en âge. Des analyses de connectivité en seed-based ont permis d’examiner la connectivité entre le RD et le reste du cerveau, y compris des régions d’autres réseaux (RS et RC). La relation entre ces réseaux et les symptômes (sévérité, anxiété et dépression), ainsi qu’avec la mémoire épisodique, ont également été examinés. Les analyses ont montré une hypoconnectivité au sein des régions du RD (entre le cortex cingulaire postérieur, PCC, et le cortex occipital) chez les patients par rapport aux témoins. De plus, la connectivité intra-RD (entre le PCC et l’hippocampe) étaient corrélée négativement avec les symptômes (sévérité et anxiété), alors qu’une hyperconnectivité (entre RD-RS et RD-RC) était corrélée positivement avec les scores de mémoire épisodique. Ces connectivités anormales entre réseaux cérébraux chez les adolescents présentant un TSPT corroborent les résultats chez l’adulte présentant un TSPT. L’hypoconnectivité intra-RD et la connectivité altérée avec les autres réseaux pourraient être à la base du rappel intrusif lié au trauma et du rappel épisodique autobiographique altéré dans le TSPT.
Référence: Viard et al. (2019) Altered default mode network connectivity in adolescents with post-traumatic stress disorder. Neuroimage: Clinical. 22:101731.
Contact chercheur : Armelle Viard
INSERM-EPHE-UNICAEN, U1077, Centre Cyceron, Caen
Un lien causal entre une diminution des taux d’acides gras polyinsaturés et des déficits motivationnels
Les pathologies psychiatriques, telles que la schizophrénie, les troubles bipolaires ou la dépression majeure sont classiquement considérées comme différentes d’un point de vue clinique du fait des catégories diagnostiques distinctes qui y sont associées. Cependant, ces pathologies présentent des symptômes communs et de plus en plus de données suggèrent l’existence de relations entre ces pathologies, qu’elles soient d’ordre génétique (polymorphismes génétiques communs) ou environnemental. Dans ce contexte, des données cliniques révèlent que ces pathologies s’accompagnent de modifications du métabolisme lipidique et en particulier d’une diminution « corps entier » des taux d’acide gras polyinsaturé (AGPI) n-3. Les AGPIs sont parmi les constituants majoritaires des membranes cellulaires au sein desquelles ils vont moduler les propriétés de la membrane et des protéines qui y sont associées et agir comme messagers secondaires.
Dans une étude publiée dans le journal Cell Metabolism le 5 mars 2020, des chercheurs de l’INRAE et Université de Bordeaux montrent qu’une diminution du statut en AGPI n-3, en influant directement sur le système cérébral de la récompense, induit des déficits motivationnels, une dimension symptomatique commune à plusieurs pathologies psychiatriques. Plus précisément, ils montrent que la déficience développementale en AGPI n-3 conduit, à l’âge adulte, à une augmentation de l’inhibition dite « latérale » des neurones épineux moyens (medium spiny neurons ou MSN) qui expriment le récepteur à la dopamine D2 (D2R) sur les MSN qui expriment le récepteur D1 (D1R) dans le noyau accumbens. En utilisant un model transgénique unique, les auteurs ont pu établir un lien de causalité entre le statut en AGPI n-3 et les altérations neurobiologiques et comportementales. En effet, ils montrent que normaliser les taux d’AGPI pendant le développement périnatal, sélectivement dans les neurones qui expriment le D2R – mais pas ceux qui expriment le D1R -, est suffisant pour prévenir les altérations neurobiologiques et comportementales.
Ces résultats constituent la première démonstration de l’existence d’un lien causal entre des modifications de taux d’AGPI dans une sous-population neuronale spécifique et une altération comportementale. Ils mettent en évidence une vulnérabilité particulière des D2R-MSN – une population neuronale connue pour être dysfonctionnelle dans plusieurs pathologies – au statut en AGPI. Par ailleurs, cette étude suggère que la diminution des taux d’AGPI n-3 décrite dans plusieurs pathologies psychiatriques pourrait directement participer à l’étiologie de certains symptômes tels que l’avolition ou l’apathie. L’origine de cette réduction des AGPI n-3 chez le patient reste inconnue mais pourrait résulter de polymorphismes de certaines enzymes impliquées dans le métabolisme lipidique. Le statut en AGPI pourrait ainsi constituer un biomarqueur prédictif et spécifique de certains symptômes et endophénotypes psychiatriques.
Référence :
Causal Link between n-3 Polyunsaturated Fatty Acid Deficiency and Motivation Deficits
Cell metabolism, 2020, https://doi.org/10.1016/j.cmet.2020.02.012
Fabien Ducrocq,,* Roman Walle, Andrea Contini, Asma Oummadi, Baptiste Caraballo, Suzanne van der Veldt, Marie-Lou Boyer, Frank Aby, Tarson Tolentino-Cortez, Jean-Christophe Helbling, Lucy Martine, Stéphane Grégoire, Stéphanie Cabaret, Sylvie Vancassel, Sophie Layé, Jing Xuan Kang, Xavier Fioramonti, Olivier Berdeaux, Gabriel Barreda-Gomez, Elodie Masson, Guillaume Ferreira, David W.L. Ma, Clementine Bosch-Bouju, Veronique De Smedt-Peyrusse, and Pierre Trifilieff
Contact :
Les lipides nutritionnels contrôlent le système de la récompense
L’alimentation est sans doute essentielle à la survie mais est aussi source de plaisir. Depuis plusieurs années la littérature scientifique pointe des liens étroits entre alimentation trop riche, prise alimentaire compulsive et obésité.
Des scientifiques du CNRS et d’Université de Paris (Unité de Biologie Fonctionnelle et Adaptative 1,2) viennent de montrer comment les triglycérides, les lipides qui se retrouvent dans le sang après la digestion des graisses par notre intestin, agissent sur le cerveau, et notamment au niveau du « circuit de la récompense ». Publiés dans Cell Metabolism le 5 mars 2020, ces résultats apportent un éclairage nouveau sur le lien entre alimentation et dérèglements des comportements alimentaires.
A l’aide de plusieurs approches complémentaires et multi-échelles, ces travaux montrent que les triglycérides interagissent avec certains neurones du « circuit de la récompense » et diminuent leur excitabilité. Ces neurones portent un type spécifique de récepteur de la dopamine, le récepteur de type 2 (DRD2), et leur activité participe au renforcement des comportements de recherche de récompense. Les scientifiques ont d’ailleurs observé que la manipulation des taux de triglycérides dans le cerveau des souris modifie plusieurs comportements associés à la dopamine, comme le plaisir et la motivation à collecter de la nourriture.
De manière intéressante, ces mêmes neurones possèdent les outils moléculaires nécessaires à la détection et l’utilisation de ces lipides. En particulier, on trouve sur les neurones qui libèrent de la dopamine ou ceux qui, en aval reçoivent et répondent à la dopamine, une enzyme spécialisée dans le découpage des triglycérides en lipides plus simple et plus facilement utilisables par la cellule : la lipoprotéine lipase (LPL). Ces résultats laissent penser que les neurones du circuit de la récompense seraient donc en capacité de répondre aux triglycérides, comme ils répondent au neuromédiateur dopamine.
L’étude est complétée par la mesure de la réponse du cerveau à une odeur de nourriture dans des conditions de jeun ou après un repas. En collaboration avec nos collègues, nous avons montré que la réponse du cortex préfrontal, une des régions du circuit de la récompense, est directement corrélée à la quantité de triglycérides circulants après un repas. Plus les triglycérides sont élevés, plus la réponse du cortex préfrontal à une odeur alimentaire est atténuée, ce qui suggère que l’activité de structures cérébrales importantes du système de récompense peut être directement modifié par un nutriment lipidique.
Habituellement, les concentrations circulantes de triglycérides sont transitoires et fluctuent uniquement après un repas. Ce n’est pas le cas des patients obèses, chez lesquels on observe souvent une concentration trop élevée de triglycérides tout au long de la journée. On pourrait donc imaginer qu’un apport constant de « signaux » lipidiques finirait par perturber l’activité des neurones DRD2 et, par voie de conséquence, perturber la « récompense » associée à la nourriture, ce qui peut se traduire par une comportement alimentaire dérégulé.
Dans ce contexte, cette étude offre un nouveau cadre de lecture permettant potentiellement d’expliquer pourquoi l’accès de plus en plus répandu à des nourritures riches peut contribuer à l’établissement de troubles alimentaires de type compulsif et favoriser le développement de l’obésité.
Notes
1- Equipe COFFEE, http://bfa.univ-paris-diderot.fr/#
2- Ont également participé à ces travaux des chercheurs et chercheuses du Centre Interdisciplinaire de Recherche en Biologie (CNRS/Inserm/Collège de France), de l’Institut de Neurosciences Cognitives et Intégratives d’Aquitaine (CNRS/Université de Bordeaux) et du laboratoire Neurosciences Paris-Seine (CNRS/Inserm/Sorbonne Université) et, au niveau international, le Helmholtz Diabetes Center,de Munich, Yale University, University of California San Diego et la société Novo Nordisk.
Référence
Circulating triglycerides gate dopamine-associated behaviours through dopamine receptor type 2 (DRD2)-expressing neurons. Chloé Berland, Enrica Montalban, Elodie Perrin, Mathieu Di Miceli, Yuko Nakamura, Maud Martinat, Mary Sullivan, Xue S. Davis, Mohammad Ali Shenasa, Claire Martin, Stefania Tolu, Fabio Marti, Stephanie Caille, Julien Castel, Sylvie Perez, Casper Gravesen Salinas, Chloé Morel, Jacob Hecksher-Sørensen, Martine Cador, Xavier Fioramonti, Matthias H. Tschöp, Sophie Layé, Laurent Venance, Philippe Faure, Thomas S. Hnasko, Dana M. Small, Giuseppe Gangarossa et Serge Luquet. Cell Metabolism, le 5 mars 2020.
Contacts
LE METABOLISME DES ASTROCYTES S’INVITE DANS LA MALADIE D’ALZHEIMER
Des chercheurs du Laboratoire des maladies neurodégénératives (CNRS/CEA/Université Paris-Saclay) et du Neurocentre Magendie (Inserm/Université de Bordeaux) viennent de mettre en évidence le rôle déterminant que joue une voie métabolique dans les troubles de mémoire de la maladie d’Alzheimer. Leurs travaux, publiés le 3 mars 2020 dans Cell Metabolism, montrent également qu’un apport en acide aminé particulier, sous forme de complément alimentaire, restaure la mémoire spatiale atteinte de façon précoce chez des souris modèles de la maladie. Une piste prometteuse pour atténuer la perte de mémoire liée à Alzheimer.
Le cerveau consomme une grande partie de l’énergie disponible dans notre organisme. Son bon fonctionnement repose sur une étroite coopération entre les neurones et les cellules de leur environnement, en particulier les astrocytes. La phase précoce de la maladie d’Alzheimer est caractérisée par une réduction de ce métabolisme énergétique, mais on ignorait si ce déficit pouvait contribuer directement aux symptômes cognitifs de la maladie d’Alzheimer.
Cette étude collaborative a montré chez une souris modèle de la maladie d’Alzheimer que la diminution de la consommation de glucose par les astrocytes conduit à une réduction de la production de L-sérine, un acide aminé majoritairement produit par ces cellules dans le cerveau et dont la voie de biosynthèse est altérée chez les patients. La L-sérine est le précurseur de la D-sérine, connue pour stimuler les récepteurs NMDA, essentiels au bon fonctionnement du cerveau et à l’établissement de la mémoire. Dès lors, en produisant moins de L-sérine, les astrocytes sont à l’origine d’une diminution de l’activité de ces récepteurs, ce qui entraine une altération de la plasticité neuronale et des capacités de mémorisation associées. Les auteurs de l’étude ont également démontré que les fonctions de mémorisation des souris ont toutes été restaurées par un apport alimentaire en L-sérine.
L’identification du rôle de la L-sérine dans les troubles de la mémoire et l’efficacité expérimentale d’une supplémentation nutritionnelle ouvrent la voie à de nouvelles stratégies, complémentaires des thérapies médicamenteuses, pour lutter contre les symptômes précoces de la maladie d’Alzheimer et d’autres maladies présentant des altérations du métabolisme cérébral, comme les maladies de Parkinson ou de Huntington. La L-sérine étant disponible comme complément alimentaire, il convient de tester de façon rigoureuse cette molécule chez l’humain, à travers des essais cliniques encadrés.
Référence:
mpairment of Glycolysis-Derived l-Serine Production in Astrocytes Contributes to Cognitive Deficits in Alzheimer’s Disease. Le Douce J, Maugard M, Veran J, Matos M, Jégo P, Vigneron PA, Faivre E, Toussay X, Vandenberghe M, Balbastre Y, Piquet J, Guiot E, Tran NT, Taverna M, Marinesco S, Koyanagi A, Furuya S, Gaudin-Guérif M, Goutal S, Ghettas A, Pruvost A, Bemelmans AP, Gaillard MC, Cambon K, Stimmer L, Sazdovitch V, Duyckaerts C, Knott G, Hérard AS, Delzescaux T, Hantraye P, Brouillet E, Cauli B, Oliet SHR, Panatier A, Bonvento G. Cell Metab. 2020 Mar 3;31(3):503-517.e8. doi: 10.1016/j.cmet.2020.02.004.
Contact chercheurs:
Gilles Bonvento, Laboratoire des maladies neurodégénératives, CEA, CNRS, UMR 9199, Institut de Biologie François Jacob, MIRCen, Fontenay-aux-Roses.
Aude Panatier, Neurocentre Magendie, INSERM U1215, Université de Bordeaux, Bordeaux France.
Un engramme ocytocinergique pour apprendre et contrôler sa peur
Nos souvenirs définissent qui nous sommes, qui nous serons. L’idée d’une représentation physique de la mémoire remonte à il y a plus de 2000 ans. En 350 av. J.-C., Aristote théorisait que « le processus de stimulation sensorielle marque une sorte d’impression du percept, juste comme un sceau laisse son empreinte dans une cire chaude ». Cette idée a progressivement menée vers l’hypothèse selon laquelle des ensembles de cellules, organisés et sélectivement activés, forment les blocs de base de la trace mnésique, l’engramme. Cette hypothèse constitue aujourd’hui un champ majeur d’investigations, guidant l’étude des mécanismes cellulaires et moléculaires sous-jacents à l’encodage et la préservation de la mémoire. Le cerveau est l’organe le plus complexe qui soit, ayant évolué sur des centaines de millions d’années à partir de simples réseaux de neurones responsables de comportements simples, comme orchestrer la survie en évitant l’exposition au danger. La mémoire jouant un rôle clef dans la survie de l’individu, les constellations de cellules, interagissant entre elles pour former des engrammes, pourraient être évolutivement très anciennes. Pourtant, à ce jour, le dogme prédominant veut que la mémoire soit encodée dans l’hippocampe pour être ensuite stockée dans le cortex. Cette vision limitée ne prend que peu en considération les autres structures cérébrales, particulièrement celles évolutivement plus anciennes pouvant effectuer une réorganisation dynamique des circuits anatomiques et fonctionnels soutenant la formation et le stockage de la mémoire.
Lors d’une récente étude, dont les résultats sont publiés dans la revue Neuron (Hasan et al., 2019), l’équipe internationale animée et coordonnée par les Drs. Alexandre Charlet (France) et Valery Grinevich (Allemagne) démontre que des engrammes sont susceptibles de se former dans des structures comme l’hypothalamus. Pour ce faire, ils se sont intéressés aux neurones produisant l’ocytocine, un neuropeptide fortement impliqué dans la régulation des émotions, incluant la douleur et la peur. A l’aide d’une nouvelle méthode de ciblage génétique, permettant de cibler spécifiquement les neurones ocytocinergiques activés lors de l’une réaction de peur, les auteurs ont découvert la formation et l’intégration d’engrammes hypothalamiques dont la manipulation altère drastiquement l’expression et le souvenir d’une peur. En effet, l’activation optogénétique de ces cellules gomme entièrement l’expression de la peur; tandis que l’inhibition chémogénétique de cet engramme bloque son extinction, induisant sa persistance. Par ailleurs, ces neurones font preuve d’une étonnante plasticité, transitant d’une transmission lente médiée par le neuropeptide ocytocine vers une communication beaucoup plus rapide, via la sécrétion de glutamate. Cette découverte majeure marque un changement de paradigme, appelant à explorer plus avant l’existence et l’intégration des engrammes dans les différentes régions cérébrales. Comprendre les circuits anatomiques et fonctionnels sous-jacents d’une émotion telle que la peur, pourrait permettre l’émergence de nouvelles stratégies thérapeutiques, notamment quand la peur devient pathologique, comme dans le cas des troubles de stress post-traumatiques.
Référence : Hasan MT*, Althammer F*, Silva da Gouveia M*, Goyon S*, Eliava M, Lefevre A, Kerspern D, Schimmer J, Raftogianni A, Wahis J, Knobloch-Bollmann HS, Tang Y, Liu X, Jain A, Chavant V, Goumon Y, Weislogel J-M, Hurlemann R, Herpertz SC, Darbon P, Dogbevia GK, Bertocchi I, Larkum ME, Sprengel R, Bading H, Charlet A#, Grinevich V#. (2019). Fear Memory Engram and its Plasticity in the Hypothalamic Oxytocin System. Neuron, in press. #Corresponding and Co-senior authors; *Co-first authors
Contact chercheur :
CRCN CNRS, Institut des Neurosciences Cellulaires et Intégratives, CNRS UPR3212, Strasbourg
SNE Impact 2019
Chaque année, la Société de Neuroendocrinologie sélectionne une dizaine de publications majeures qui reflètent le dynamisme des différents domaines de recherche dans les laboratoires français de Neuroendocrinologie.
Le SNE Impact2019 présente la sélection des articles publiés en 2019.
Formation des neurones sensoriels : un processus dynamique finement régulé
Notre capacité à détecter et intégrer diverses modalités sensorielles telles que le toucher (mécanoception), l’état d’étirement de nos muscles et la position de notre corps dans l’espace (proprioception), la température (thermoception) ou la douleur (nociception) repose sur le système nerveux somatosensoriel. Dans le tronc, les récepteurs primaires de ce système, localisés dans les ganglions rachidiens dorsaux (GRD), forment une population neuronale hétérogène dont la diversité fonctionnelle est établie tôt au cours de l’embryogenèse. Les neurones des GRD se forment à partir de cellules souches (ou progéniteurs) issues de la crête neurale qui contribuent également à ce niveau aux neurones sympathiques, aux cellules gliales périphériques ainsi qu’aux mélanocytes (les cellules pigmentaires de la peau). Le choix entre ces différents destins cellulaires implique des modifications du potentiel développemental des cellules de la crête neurale en fonction du temps et/ou de l’environnement, notamment reflétées par l’induction de déterminants spécifiques à chaque lignage. Dans les progéniteurs somatosensoriels, les facteurs de transcription Neurog1 et Neurog2 ont été identifiés depuis longtemps comme acteurs essentiels à la différentiation des différents sous-types neuronaux en agissant de manière a priori indépendante et complémentaire. Il est en effet généralement admis qu’un premier groupe de progéniteurs se différencie sous le contrôle de Neurog2 pour générer d’abord les neurones mécanoceptifs et proprioceptifs, puis qu’un second groupe se différencie plus tard sous l’action de Neurog1 pour produire les neurones thermo/nociceptifs. Ce modèle est supporté par l’absence totale de GRD chez les animaux doubles-mutants Neurog1-/- ;Neurog2-/-, ainsi que par l’agénésie spécifique des neurones « tardifs » thermo/nociceptifs chez les simples-mutants Neurog1-/-. Cependant, il n’existe pas d’évidence directe conférant un rôle spécifique à Neurog2 dans la formation des neurones « précoces » mécano/proprioceptifs, aucune perte neuronale n’ayant été décrite chez les simples-mutants Neurog2-/-. De fait, la contribution individuelle de Neurog2 dans ce système restait étonnamment vague. Au cours d’une étude récente, nous avons mis en évidence que les GRD des mutants Neurog2-/- contiennent en fait un nombre globalement réduit de neurones de tous types, concernant non seulement la population mécano/proprioceptive mais aussi, de manière plus inattendue, la population thermo/nociceptive. Nous avons établi que ce phénotype général -bien que partiel- est très dynamique et est la conséquence de multiples défauts affectant l’intégrité de différents pools de progéniteurs qui surviennent tous pendant une courte fenêtre de temps au cours de laquelle Neurog2 régule transitoirement l’expression de Neurog1 et l’initiation des différentes vagues de différentiation. Nous avons notamment montré que durant cette période, certains progéniteurs dédiés au système somatosensoriel changent d’identité et adoptent un destin de mélanocytes, tandis que d’autres meurent par apoptose. Ainsi, lorsque Neurog1 est finalement induit chez les mutants Neurog2-/-, la neurogenèse est initiée de manière retardée, à partir d’un réservoir restreint de progéniteurs, expliquant à terme le déficit neuronal observé. Ces résultats ont ainsi révélé l’existence d’une période critique de vulnérabilité et de plasticité développementale parmi les populations de progeniteurs somatosensoriels. Ils ont aussi permis de déterminer qu’au cours de la formation des GRD, le rôle de Neurog2 est plus complexe et plus large qu’initialement envisagé.
Reference:
Neurog2 Deficiency Uncovers a Critical Period of Cell Fate Plasticity and Vulnerability among Neural-Crest-Derived Somatosensory Progenitors. Ventéo S, Desiderio S, Cabochette P, Deslys A, Carroll P, Pattyn A. Cell Rep. 2019 Dec 3;29(10):2953-2960
Contact chercheur:
Institute for Neurosciences of Montpellier, University of Montpellier, INSERM U1051, Montpellier, France.
Syndrome de Rett : Lorsque la huntingtine sauve les neurones déficients
Une étude récente menée entre autres à Aix-Marseille Université et l’Inserm laisse entrevoir un espoir thérapeutique dans le syndrome de Rett ! En effet, les équipes de Jean-Christophe Roux (équipe de Neurogénétique Humaine) du Centre de Génétique Médicale de Marseille* et Frédéric Saudou du Grenoble Institut Neurosciences** ont élaboré une stratégie originale en axant leurs travaux sur la huntingtine, protéine impliquée dans la maladie de Huntington.
Le syndrome de Rett est un trouble neurologique grave qui affecte uniquement des filles avec une incidence de 1 sur 15 000 naissances. Ce n’est qu’entre 6 à 18 mois que les premiers signes apparaissent. Pour l’instant, il n’existe aucun traitement pour cette pathologie qui conduit à un polyhandicap sévère se traduisant par des troubles cognitifs, moteurs et autonomes. L’activation de la protéine Huntingtine, qui lorsque mutée est responsable de la maladie de Huntington (MH), améliore la physiopathologie et les symptômes dans des souris modèles du syndrome de Rett. En effet, l’élévation de son taux de phosphorylation permet de restaurer le transport endogène de BDNF – facteur neurotrophique dérivé du cerveau – essentiel au développement et au bon fonctionnement des neurones. De nombreuses études ont ainsi établi un lien direct entre la réduction des connexions neuronales et l’altération du taux de sécrétion du BDNF. Chez les malades atteints du syndrome de Rett, le gène responsable a été identifié en 1999. Il s’agit de MECP2 qui régule l’expression de milliers de gènes neuronaux dont celle du BDNF. Lorsque MCP2 est muté, l’expression du BDNF est diminuée de moitié, provoquant de nombreux problèmes de connectivité neuronale. En utilisant des approches génétiques et pharmacologiques, Jean-Christophe Roux et Frédéric Saudou ont montré que la phosphorylation de la huntingtine permet de pallier ce problème en augmentant le transport de BDNF dans des neurones modèles de Rett et améliore ainsi le fonctionnement des synapses. Des travaux antérieurs avaient identifié la molécule FK506, déjà utilisée en clinique pour éviter le rejet de greffe, comme augmentant la phosphorylation de la huntingtine. Les chercheurs ont alors montré que cette molécule était capable de rétablir le transport de BDNF dans les puces microfluidiques reproduisant les connexions dans les cerveaux Rett et améliorait la physiopathologie et les symptômes chez les souris modèle du syndrome de Rett.
Ces travaux, publiés dans le journal Embo Molecular Medicine le 08/01/2020, pourraient constituer une approche prometteuse pour le traitement des patientes atteintes du syndrome de Rett.
Référence : Ehinger Y, Bruyère J, Panayotis N, Abada YS, Borloz E, Matagne V, Scaramuzzino C, Vitet H, Delatour B, Saidi L, Villard L, Saudou F, Roux JC. Huntingtin phosphorylation governs BDNF homeostasis and improves the phenotype of Mecp2 knockout mice. EMBO Mol Med. 2020 Jan 8:e10889. doi: 10.15252/emmm.201910889.
Contact chercheur :
Jean-Christophe Roux, Équipe de NeurogénétiqueHumaine, MMG – Centre de génétique médicale de Marseille, Aix-Marseille Université – Inserm – UMR 1251, Faculté de Médecine de La Timone, Marseille.
Frédéric Saudou, Directeur du Grenoble institut des Neurosciences (GIN), Équipe “Dynamiques intracellulaires et neurodégénérescence”, Inserm, U1216, CHU Grenoble Alpes, Grenoble
Un nouvel acteur impliqué dans les troubles de la mémoire et de l’anxiété
Dans de nombreuses pathologies et maladies neurodégénératives, une augmentation d’une protéine appelée P2X4 est observée à la surface de cellules mais son rôle restait méconnu. L le groupe d’Eric Boué-Grabot, à l’IMN de Bordeaux a créé une souris qui permet d’augmenter le nombre de P2X4 à la surface de cellules afin de mimer la situation pathologique et en collaboration avec plusieurs équipes les chercheurs révèlent dans un travail publié dans Molecular Psychiatry, que le nombre accru de cette protéine dans les neurones crée une activité anormale dans le cerveau provoquant des troubles de la mémoire et une diminution de l’anxiété.
La “molécule de l’énergie” des cellules, l’ATP, est aussi libérée à l’extérieur des cellules et sert de messager entre les cellules. La protéine P2X4, récepteur de l’ATP, est exprimée dans de nombreuses cellules à travers tout l’organisme et plus particulièrement dans les neurones et les cellules gliales du cerveau. Cette protéine faiblement présente à la surface des cellules en conditions normales se révèle plus abondante chez certains neurones et/ou cellules gliales dans les maladies neurodégénératives telles que les maladies d’Alzheimer, de Charcot ou la sclérose en plaque mais aussi dans les douleurs chroniques et d’autres pathologies comme celles liées à la consommation d’alcool. Cette augmentation est aussi observée dans d’autres cellules de l’organisme en particulier dans des conditions inflammatoires comme l’asthme ou l’arthrose rhumatoïde suggérant que le récepteur P2X4 pourrait être un acteur-clé de nombreuses pathologies et par conséquent une cible thérapeutique potentielle.
Afin d’appréhender les rôles du récepteur P2X4, le groupe d’Eric Boué-Grabot, à l’IMN de Bordeaux a développé avec l’aide de la Clinique de la souris de Strasbourg a développé une lignée de souris permettant d’augmenter spécifiquement le nombre des récepteurs P2X4 à la surface de certaines cellules. Les résultats publiés dans le journal Molecular Psychiatry qui résultent d’une collaboration avec plusieurs équipes françaises CNRS et Inserm et des chercheurs de l’institut d’immunologie de Hambourg et du Neuro de l’université McGill de Montréal montrent que l’augmentation du nombre de récepteurs P2X4 à la surface des neurones dans une structure du cerveau (l’hippocampe) impliquée dans la mémoire et l’apprentissage provoque des déficits mnésiques ainsi qu’une diminution de l’anxiété des souris. Ils démontrent aussi que la présence accrue de ces récepteurs altère les processus cellulaires à la base de la mémoire. Ces travaux suggèrent que l’augmentation des récepteurs P2X4 à la surface de neurones observée dans la maladie d’Alzheimer pourrait contribuer aux déficits mnésiques et représenter ainsi une piste thérapeutique potentielle dans les maladies neuropsychiatriques.
Cette étude révèle aussi tout le potentiel de ce nouveau modèle murin car la modification génétique du récepteur P2X4 permet de visualiser directement l’augmentation du nombre de récepteurs P2X4 en situation pathologique. Ces souris devraient permettre dans le futur d’élucider le rôle de ces récepteurs dans différents modèles de pathologies non seulement du cerveau mais aussi du poumon, du cœur, ou lors d’infection et d’inflammation, situations pour lesquelles le nombre de ce récepteur augmente dans des cellules spécialisées.
Pour en savoir plus:
Increased surface P2X4 receptor regulates anxiety and memory in P2X4 internalization-defective knock-in mice.
Bertin E, Deluc T, Pilch KS, Martinez A, Pougnet JT, Doudnikoff E, Allain AE, Bergmann P, Russeau M, Toulmé E, Bezard E, Koch-Nolte F, Séguéla P, Lévi S, Bontempi B, Georges F, Bertrand SS, Nicole O, Boué-Grabot E.
Mol Psychiatry. 2020 Jan 8. doi: 10.1038/s41380-019-0641-8. [Epub ahead of print]
Contact chercheur: Eric Boué-Grabot ; Directeur de recherche CNRS
Institut des Maladies Neurodégénératives (IMN)(CNRS/Université de Bordeaux), Centre Broca Nouvelle Aquitaine