Comment la mémoire sociale émerge à l’adolescence ? par Contributeur 08.01.2020 à 07h19
L’adolescence est reconnue comme une période critique du développement du cerveau avec des changements majeurs des capacités cognitives et un remodelage structurel important. Les mécanismes qui sous-tendent l’émergence de nouvelles fonctions cognitives sont cependant peu connus.
Dans de nombreuses structures cérébrales, la plasticité synaptique est plus forte pendant le développement postnatal, et cette plasticité joue un rôle important dans la mise en place des réseaux neuronaux. De façon surprenante, l’équipe de Rebecca Piskorowski et Vivien Chevaleyre (Institut de Psychiatrie et Neuroscience de Paris), en collaboration avec Laure Verret et Christophe Rey de l’équipe de Claire Rampon (Centre de Recherche sur la Cognition Animale, Toulouse), a mis en évidence une forme de plasticité synaptique qui n’est pas présente au début du développement postnatal chez la souris, mais qui apparaît à la fin de l’adolescence. Cette plasticité se produit sur les interneurones exprimant la Parvalbumine de la région CA2 de l’hippocampe, une région clé pour la formation de mémoire sociale. Les auteurs ont pu montrer que l’apparition de la plasticité est liée à la maturation du réseau périneuronal (PNN : PeriNeuronal Net), une différenciation de la matrice extracellulaire. Dans de nombreuses structures, l’augmentation du PNN au cours du développement contribue à la diminution de la plasticité synaptique et à la stabilisation des réseaux. Dans CA2, ce PNN à un rôle particulier en permettant l’apparition d’une plasticité synaptique. Ceci s’explique par le fait que le PNN permet de maintenir une signalisation trans-synaptique par l’intermédiaire de la Neuréguline 1 (exprimée par les neurones pyramidaux) et son récepteur ErbB4 (exprimé par les terminaisons axonales de interneurones Parvalbumine).
L’induction de cette plasticité par les récepteurs Delta des opioïdes, aussi exprimés au niveau des terminaisons des interneurones Parvalbumine, diminue la libération de GABA. Cette dépression à long-terme de l’inhibition (iLTD), change la balance en faveur de l’excitation et permet aux afférences de CA3 de recruter les neurones pyramidaux de CA2, ce qui n’est pas le cas lorsque l’inhibition est intacte. Comme l’activité des neurones pyramidaux de CA2 est nécessaire pour la formation de mémoire sociale, nous avons émis l’hypothèse que la iLTD pourrait avoir un rôle dans cette forme de mémoire. En accord avec cette idée, nous avons montré que la mémoire sociale apparaît au cours du développement en même temps que la plasticité synaptique sur les interneurones Parvalbumine. Par ailleurs, une dégradation du PNN dans CA2, ou l’utilisation d’un système viral pour diminuer l’expression des récepteurs Delta opioïdes dans CA2, ralenti la formation de la mémoire sociale.
Ces résultats procurent un lien entre l’apparition d’une plasticité synaptique à la fin de l’adolescence et l’émergence d’une nouvelle fonction cognitive.
Référence : Domínguez S, Rey CC, Therreau L, Fanton A, Massotte D, Verret L, Piskorowski RA, Chevaleyre V. Maturation of PNN and ErbB4 Signaling in Area CA2 during Adolescence Underlies the Emergence of PV Interneuron Plasticity and Social Memory. Cell Reports. 2019 Oct 29;29(5):1099-1112.e4. doi: 10.1016/j.celrep.2019.09.044.
Contact chercheur :
Rebecca Piskorowski/Vivien Chevaleyre : Institut de Psychiatrie et Neuroscience de Paris, INSERM U1266, Paris
Laure Verret : Centre de Recherche sur la Cognition Animale, Université Paul Sabatier, Toulouse